Y aurait-il un univers miroir de l'autre côté du Big bang ?
C'est un vrai scénario de SF : il existerait peut-être d'autres Univers que le nôtre.
Et même des multiples univers ! Une perspective qui donne le vertige… Mais vers laquelle convergent désormais plusieurs théories de la physique.
Nous sommes confinés sur l'une des centaines de milliards de planètes de la Voie lactée,
une galaxie parmi 2 000 milliards d'autres dans l'Univers… qui, lui-même, à son tour, pourrait n'être qu'un grain de poussière perdu parmi des milliards d'autres ?
L'idée d'un "multivers" (contraction de "multiple" et d'"univers") donne le vertige.
Pourtant, son existence découle assez naturellement de plusieurs de nos théories physiques actuelles les plus solides, la relativité générale, l'inflation, la physique quantique…
Chacune admet la possibilité d'un multivers, doté de caractéristiques propres. Ainsi, il n'existerait pas un seul, mais une multitude de multivers !
Les Univers parallèles pulluleraient autour de nous.
Une thèse très sérieusement défendue par des chercheurs comme le célèbre Stephen Hawking ou le Français Aurélien Barrau.
Le problème, c’est qu’on n’en a pas la moindre preuve observationnelle.
Pis : personne ne sait s’il sera un jour possible d’en avoir !
"Il faudrait que dans le passé, notre Univers ait été en connexion causale avec un autre Univers et en ait conservé la trace Or rien n’est moins sûr" , craint Philippe Brax, spécialiste de l’inflation au CEA.
Certains chercheurs font tout de même ce pari, traquant des signaux inexpliqués qui pourraient être interprétés comme des traces de contact avec un autre Univers.
Dernier exemple en date : l'expérience Anita, menée par la Nasa en Antarctique.
En 2016, ce ballon-sonde stratosphérique a détecté trois neutrinos de très haute énergie dont personne n'est parvenu à interpréter l'origine… jusqu'au printemps dernier.
Un chercheur de l'université de la Ville de New York, Luis Anchordoqui, a en effet proposé que ces neutrinos pourraient être la preuve indirecte qu'il existerait un Univers miroir "de l'autre côté du big bang".
Né en même temps que le nôtre, il serait rempli d'antimatière et le temps s'y écoulerait… à l'envers !
Si notre Univers est infini, alors il existe forcément quelque part une planète peuplée de nos doubles !
UNE IMPROBABLE CONSPIRATION
Ce modèle exotique a été échafaudé quelques mois plus tôt par Latham Boyle et ses collègues de l'Institut Périmètre de physique théorique, au Canada.
Il prédit des caractéristiques pour la matière noire, qui remplirait les deux Univers jumeaux.
Luis Anchordoqui a en effet remarqué que si celle-ci s'était accumulée dans les glaces de l'Antarctique, les neutrinos issus de sa désintégration auraient exactement l'énergie des neutrinos inexpliqués d'Anita.
"Cette coïncidence intrigue, et ce serait évidemment incroyablement excitant s'il pouvait s'agir d'un indice observationnel en faveur de notre modèle, reconnaît Latham Boyle.
Cela dit, le détecteur de neutrinos Ice Cube, enfoui dans l'Antarctique, aurait dû détecter des neutrinos similaires à ceux d'Anita, or ce n'est pas le cas.
Ces derniers sont probablement de simples artefacts du ballon-sonde."
Cet exemple est représentatif de l'état de la recherche de preuves des multivers : elle en est à peu près au point mort.
Y compris celle du multivers, le moins exotique de tous, qui découlerait de l'infinité de notre Univers.
Infinité dont on n'est toujours pas certain !
En effet, la vitesse de la lumière étant finie, elle ne nous permet pas d'observer plus loin qu'à 13,8 milliards d'années-lumière.
Impossible donc de savoir jusqu'à quelle distance l'Univers s'étend réellement.
Or, si c'est à l'infini, cela signifie qu'il existe forcément quelque part, une planète peuplée de nos doubles !
Car dans l'infini, tout ce qui a une probabilité non nulle de se produire se produit nécessairement, et une infinité de fois.
"Pour l'instant, les meilleures mesures de la géométrie de l'Univers ne permettent pas de savoir s'il est infini, affirme Benjamin Wandelt, membre de la collaboration Planck.
On sait simplement qu'il mesure au moins 265 milliards d'années-lumière de rayon."
Autre exemple parlant, le multivers de l'inflation.
Cette théorie physique, bien acceptée par la communauté des cosmologues, stipule que, juste après le big bang,
l'Univers aurait subi une phase d'expansion époustouflante au cours de laquelle les distances auraient été brutalement étirées de 1030 à 10100 fois en un milliardième de milliardième de seconde !
Or, ses trois inventeurs, les Russes Andrei Linde et Alexei Starobinsky et l'Américain Alan Guth, envisagent très sérieusement que cette inflation soit en réalité éternelle :
Elle s'est effectivement arrêtée après une fraction de seconde dans notre Univers, mais continuerait depuis d'autres, insufflant dans le néant des Univers bulles en cascade !
Qui, chacun, auraient leurs propres constantes fondamentales de la physique.
La vitesse de la lumière pourrait y être supérieure ou inférieure à 300 000 km/s ; l'électron pourrait y être plus léger ; la gravitation plus intense…
Ce multivers inflationnaire résoudrait ainsi un des plus gros problèmes de la cosmologie :
Pourquoi les constantes universelles sont-elles ce qu'elles sont, et pourquoi sont-elles, comme par hasard, exactement réglées pour permettre aux galaxies, aux étoiles, aux planètes de se former et à la vie d'émerger ?
"Si vous considérez que ces nombres sans dimension sont aléatoires, l'existence de la vie semble relever d'une improbable conspiration", explique Alain Riazuelo, de l'Institut d'astrophysique de Paris.
En 2015, Ranga-Ram Chary, du Caltech, a cherché dans le fond cosmologique des traces d'une collision de l'un de ces Univers avec le nôtre.
Et a détecté un signal à 143 GHz que rien ne semble expliquer : "Ce signal est bien réel, mais je ne prétends pas qu'il s'agit de la marque d'un Univers parallèle.
Je laisse la question ouverte jusqu'à ce que des analyses plus poussées soient effectuées."
"Le terme d'Univers parallèles pour ce multivers n'est pas adéquat, remarque Jérôme Martin, lui aussi à l'Institut d'astrophysique de Paris.
Il s'agit finalement de différentes régions d'un même Univers, même si elles sont causalement déconnectées, et même si elles contiennent des lois physiques différentes.
Un véritable multivers serait celui de la physique quantique."
Un multivers quantique qui fut historiquement le premier à émerger :
Dès 1950, Hugh Everett, alors jeune étudiant à l'université Princeton, s'est en effet penché sur le problème de superposition des états en physique quantique.
Propriété qui stipule qu'une particule peut être dans deux états à la fois jusqu'à ce qu'on la mesure.
Elle bascule alors dans l'un des deux états, comme le fameux chat de Schrödinger, à la fois mort et vivant, jusqu'à ce qu'on ouvre la boîte dans laquelle il est caché.
C'est ce basculement qui, encore aujourd'hui, pose un problème aux scientifiques. Il n'explique pas pourquoi, au niveau microscopique, le réel choisit une option plutôt que l'autre.
Everett s'en débarrasse en imaginant que le chat est mort dans un Univers… mais vivant dans un autre. Autrement dit, toutes les possibilités se réalisent, mais chacune dans un Univers différent.
Une interprétation folle, "mais très pratique pour continuer à travailler avec la mécanique quantique sans rien modifier, estime Jérôme Martin.
Le souci, c'est que cette interprétation en termes de multivers établit les mêmes prédictions que la mécanique quantique standard. Il n'y a donc pas moyen de les distinguer.
Cela relève finalement d'une question de goût" .
Et c'est précisément là le gros défaut des théories des multivers :
Elles s'aventurent parfois en dehors du territoire de la physique pour pénétrer sur ceux de la philosophie et de la métaphysique.
"De fait, il y a toute une école de pensée qui clame que les Univers parallèles ne pourront jamais être détectés, ajoute Ranga-Ram Chary.
Ce à quoi je réponds que si ce n'est pas testable, alors ce n'est juste pas une théorie scientifique."
"Oui, il faut se méfier de ceux qui assurent que les multivers resteront pour toujours en dehors du champ de la science , abonde Jérôme Martin.
Ce qui est vrai aujourd'hui ne le sera peut-être pas demain."